jeudi 29 janvier 2009

Collège de France : Leçon inaugurale pour la chaire savoirs contre pauvreté


Esther Duflo, première titulaire de la chaire savoirs contre pauvreté au Collège de France, a tenu hier sa leçon inaugurale. La professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) axe ses recherches sur le comportement des ménages, les choix éducatifs, la scolarisation, l’évaluation des politiques, la décentralisation et la microfinance dans la lutte contre la pauvreté. Elle répond à nos questions.
En tant qu’économiste, comment définissez-vous votre rôle dans la lutte contre la pauvreté ?
Il me faut tout d’abord préciser le sens que j’attribue à la pauvreté. Généralement, elle est définie comme un manque de revenus. Ma définition est plus large, je l’entends comme un manque de besoins élémentaires d’éducation, de santé, comme une incapacité à prendre des décisions. Ainsi définie, il y a plusieurs angles d’attaque. Comme les sciences sociales ou l’histoire, l’économie peut amener des suggestions, peut appuyer les politiques de lutte contre la pauvreté. Spécialistes des statistiques, en analysant des situations qui ont à voir avec tous les domaines de la pauvreté, ils peuvent aider à l’évaluer. L’ambition est de lutter contre les maux que la pauvreté engendre. En ce moment en France, par exemple, l’effort dans la lutte contre la pauvreté passe par les politiques d’insertion.

Quelle méthode avez-vous mise en place ?
Je pars du principe que l’évaluation n’est pas forcément quelque chose qu’on fait après. C’est mieux avant, comme une planification. Par exemple, dans le domaine des politiques publiques sociales, la planification porte sur les programmes destinés à la lutte contre la pauvreté. Mais si on propose aux enfants l’école publique, ce n’est pas parce que c’est mieux, ils n’ont pas le choix. On doit aux gens de payer avant. L’évaluation a parfois mauvaise presse, celle des élèves par exemple. Pour moi, elle est prospective, je vois le processus d’évaluation comme un programme test, avant d’être obligé au succès. L’impossibilité d’admettre l’échec est un frein à l’innovation. Cela nécessite l’introduction d’un esprit où l’expérimentation de l’objet est reconnue et où il est accepté d’échouer. Ensuite, si l’expérimentation se révèle juste, on peut l’appliquer à pleine échelle. L’évaluation de l’impact des politiques publiques permet de s’assurer de leur efficacité.

Comment êtes-vous organisée ?
Je dirige un réseau de chercheurs, le laboratoire d’Action contre la pauvreté Abdul Latif Jameel (J-PAL). Ses bases sont au Masachusetts, où je l’ai créé en 2003, à Paris et en Inde. La spécialisation de J-PAL est d’appliquer la méthode de l’évaluation aléatoire des programmes de lutte contre la pauvreté. Les chercheurs du réseau y consacrent une partie de leurs travaux et partagent leurs savoirs. Ils ont adopté le principe de l’évaluation prospective, avec assignation aléatoire, que je recommande et qui ressemble à un essai clinique, avec des traitements et des comparatifs. L’attitude face à l’évaluation, jusque-là négative parce que les décideurs se donnent pour impératif le succès, commence à changer, il y a plus d’acceptation.

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